I • Rébellion
Savoir qui est l'ennemi, c'est parfois utile...Une voix s'éleva dans la maison:
" Katie, viens manger! "
Katie descendit quatre à quatre les escaliers qui séparaient sa chambre et le rez-de-chaussée, où se trouvait la cuisine. Depuis plusieurs heures, elle avait l'impression qu'elle allait avaler ses feuilles de cours sans même prendre le temps de les mâcher, tellement elle avait faim. En ouvrant la porte de la cuisine, elle changea de couleur:
" Mais... rien n'est prêt!
- Tu croyais quand même pas que j'allais tout préparer pour toi! Je suis ton père, pas ton larbin.
- OK, OK... je vais préparer la bouffe. Enfin, si tu me dis ce que t'avais prévu.
- Rien du tout!
- Quoi? Tu veux qu'on meure de faim? Mais t'es malade!
- Eh! Du calme. Ouvre le frigo, on mangera ce qu'il reste. "
Tout en grommelant, Katie ouvrit le frigo. Elle ne voulait pas perdre de temps à discuter avec son père de son manque d'organisation. Cependant, l'intérieur de l'appareil lui fit un instant penser aux magazines d'électroménager.
Il était vide.
Complètement vide.
Désespérément vide.
Enfin presque: Il y avait une bouteille d'eau, du steak haché et une boite de conserve rouge, qu'elle prit dans la main.
" Du concentré de tomate, annonça-t-elle avec une pointe d'ironie dans la voix, et du steak. Qu'est ce qu'on va bien pouvoir faire de ça?
- Il me semble qu'il reste des spaghettis dans le placard, on peut faire une sorte de sauce bolognaise.
- Je ne suis pas vraiment sûre que de la sauce tomate et du steak haché fasse une excellente sauce, mais on a pas trop le choix, si on veut éviter de mourir de faim. "
Elle sortit donc les victuailles du frigo, tandis que son père allait chercher les pâtes. Puis elle ouvrit un tiroir qui se trouvait à proximité et se mit à farfouiller dedans.
" Qu'est ce que tu fais? lui demanda son père.
- Ça se voit pas? Je danse la polka.
- Et moi je suis la reine d'Angleterre.
- C'est vrai? Je suis vraiment enchanté, majesté! "
Elle se tordit en deux en une révérence moqueuse, quand elle vit les yeux de son père briller, signe qu'il valait mieux pour elle qu'elle cesse rapidement ses plaisanteries. Elle soupira, et se remit à chercher dans le tiroir en demandant:
" T'as mis où l'ouvre-boîtes?
- C'est ça que tu cherche?
- Bah évidemment!
- Tu ne risque pas de le trouver, je l'ai utilisé hier: il est toujours dans le lave vaisselle "
La jeune fille se releva, énervée.
" Et tu n'aurais pas pu le dire plus tôt?
- Je te rappelle que tu ne m'as pas dit que c'est ça que tu voulais.
- Et tu ne l'avais bien sur pas deviné? "
Le père préféra ignorer la remarque, ouvrit le lave vaisselle, et y prit l'objet tant convoité, avant de le tendre à sa fille, qui s'en empara d'un geste vif. Elle prit ensuite la boite de concentré de tomate dans l'autre main, et entreprit de l'ouvrir.
" Ahhhhhhhh! "
Le cri avait été déchirant. Son père se tourna vers elle, étonné, croyant qu'elle s'était blessé. Elle était couverte des pieds à la tête d'un liquide rouge. Il n'avait jamais supporté la vue du sang, et sans même avoir compris ce qu'il s'était passé, s'évanouit.
*****
" Non, je vous assure que nous ne sommes pas intéressés.
- Notre société est la meilleure en son domaine: la sécurité avant tout, c'est notre devise. Je vous assure qu'aucun cambrioleur n'osera s'approcher de votre habitation si vous êtes chez nous.
- Mais oui, c'est ça... A la vue de votre logo sur nos fenêtres, ils s'enfuiront. Et puis quoi encore? "
Camille posa le combiné en râlant. Elle avait une sainte horreur des démarcheurs, et ne savais plus quoi faire pour s'en débarrasser. Elle leva les yeux au ciel lorsque la sonnerie retentit à nouveau. La jeune fille voulut l'ignorer, mais cela continuait, encore et toujours. Il y avait qu'un seul moyen de s'en débarrasser.
" Je vous ai déjà dit que nous étions très bien assurés! "
Elle avait hurlé, et s'apprêtait à jeter le téléphone furieusement lorsqu'elle entendit une voix familière à l'autre bout du fil.
" Je suis bien contente pour toi, mais je peux savoir en quoi ça me concerne?
- Katie? C'est toi?
- Qui veux-tu que ce soit d'autre, espèce de nouille?
- Désolée, je t'avais prise pour... pour...
- Pour quelqu'un d'autre? J'm'en serais pas doutée!
- Au lieu de te foutre de moi, tu pourrais me dire pourquoi t'appelle? "
Un rire sonore résonna, légèrement déformé par le téléphone.
" Et depuis quand il me faut une raison pour appeler ma meilleure amie?
- Je ne serais pas ta meilleure amie si tu en avait d'autres, tu ne crois pas? "
Cette fois ci, ce fut Camille qui éclata de rire, et Katie capitula:
" Ok, un point pour toi, mais t'en fait pas, j'ai pas dit mon dernier mot!
- Ce serait trop beau!
- Ah ah ah! dit Katie, ironique. Plus sérieusement, tu devinera jamais ce qui m'est arrivée tout à l'heure.
- Non, mais je suppose que tu vas me le dire.
- Rien que pour cette phrase, tu mériterais que je raccroche.
- Non, raconte! "
*****
" Tu t'es retrouvée couverte des pied à la tête de sauce tomate?
- En fait, c'était du concentré, mais c'est quasiment la même chose.
- Eh bah... Il t'en arrive de ces trucs, à toi. "
Camille, pendue à son téléphone, riait aux larmes.
" Je suis pas sûre que mes vêtements trouvent la chose aussi marrante que toi. Ça m'étonnerait même que tu revois mon gilet blanc. Enfin, tu le reverra peut-être, mais d'une autre couleur.
- Mince! moi qui comptait te le piquer. "
Camille entendit la porte s'ouvrir.
" Désolée, Katie, mais je dois te laisser, il y a mes parents qui rentrent... On va peut être ENFIN manger.
- Quoi? T'as pas encore bouffé?
- Ben non!
- Mais il est presque trois heures de l'aprem' ! ! !
- Je sais, et j'ai la dalle!
- Ben... Bon appétit alors... Et méfie toi des tomates.
- T'inquiète pas, je ne m'appelle pas Katie, et je sais ouvrir une conserve. "
Camille raccrocha avant que son amie ait le temps de comprendre ce qu'elle avait dit. Elle se leva de son lit, où elle aimait être allongée quand elle était au téléphone avec ses amies et alla voir ses parents.
" Vous avez rapporté quoi pour ce midi?
- On va faire une raclette, ça te dit? lui demanda son père.
- Ça met du temps à préparer, ça... et j'ai faim, moi!
- Mais non, ça va être rapide: les pommes de terres sont déjà cuites: il suffit juste de les éplucher, de les réchauffer, de sortir l'appareil et d'ouvrir le fromage qu'on a rapporté.
- Juste! remarqua Camille.
- Râler ne fera pas aller plus vite. Aide-nous! "
Le ton de sa mère ne souffrait aucune réplique, et la jeune fille s'exécuta silencieusement. Elle n'était pas assez grande pour prendre l'appareil à raclette, qui était tout en haut d'un placard. Elle attrapa donc un couteau d'une main, et une pomme de terre de l'autre. Elle ressentit alors une vive douleur dans le pouce, et eut un cri de surprise. Quand elle baissa les yeux, elle vit qu'il était en sang.
" Quoi, encore? s'énerva sa mère.
- Je crois que la pomme de terre vient de me mordre.
- Arrête de te ficher de moi et dépêche-toi. Tu n'es pas la seule à avoir faim.
- Mais... "
Sa mère se retourna, et un éclat furieux luisait dans ses yeux... Qui furent vite attiré par la main de Camille.
" Comment tu t'es fait ça? "
Camille soupira, levant les yeux au ciel. Elle détestait se répéter.
*****
" Et après, tu dis que c'est moi qui ne suis pas douée! "
Katie avait éclaté de rire lorsque son amie lui avait fait part, via MSN, de son aventure. Camille, renfrognée, mit son pouce mutilé devant sa webcam:
" Tu trouve toujours ça drôle?
- Enlève ça de sous mes yeux, c'est immonde!
- Comme tu veux, mais arrête de te moquer de moi à chaque occasion. "
Un son qui se voulait musical et qui caractérisait le logiciel de conversation instantané. se fit entendre, et le message tant attendu apparut sur l'écran de chacune des jeunes filles.
Nina vient de se connecter.Camille fut la plus rapide à l'inviter en conversation vidéo, Mais elle fut vite imitée par Katie. Elles n'avaient trouvée que cette méthode pour pouvoir "vidéoconférer" à trois par MSN. Pendant que le chargement s'effectuait, elle demanda:
" Tu parie combien qu'elle ne va pas nous croire? "
La seul réponse fut un sourire en coin et un froncement de sourcils plutôt ridicule.
" Salut les filles! Vous allez bien? "
La connection était établie. Les deux amies faillirent s'étouffer en regardant l'image qui s'affichait devant elles.
" Mais, qu'est ce que tu as fait à tes cheveux? demanda Katie, au bord de la crise cardiaque.
" C'est juste une nouvelle couleur! Et une nouvelle coupe! Tu aimes? "
La longue chevelure de Nina avait radicalement changé. Maintenant, les mèches les plus basses lui tombaient sur les épaules. Sans oublier leur teinte: elles étaient...
" Vertes? Il n'y avait plus d'autres coloration chez ton coiffeur ou quoi? s'exclama Camille
- Vous énervez pas les filles! tenta Nina
- Euh... dis nous au moins que c'est temporaire. Pitié!
- Ben... hésita la concernée. C'est à dire que... Ça dépend de ce que l'on appelle temporaire. "
Katie leva les yeux au ciel. Décidément, Nina avait beau être une fille géniale, et son amie de surcroît, elle ne la comprendrais jamais. Cette dernière voulut changé de conversation:
" Et quoi de neuf pour vous?
- Rien d'aussi... coloré que toi. "
La réponse de Katie fit rire Camille, qui prit la parole:
" Ça c'est sûr... Mais il nous est arrivé des trucs étranges, à nous aussi!
- Racontez! exigea Nina.
- T'as combien de temps devant toi?
- Ce qu'il faudra! "
*****
" Si je comprend bien, dit Nina, vous vous êtes faites attaquée chacune votre tour par un légume?
- Oui, même si, d'un point de vue technique, une pomme de terre n'est pas un légume, nota Katie.
- Ouais, peut être, mais pour moi, répliqua Camille, tout ce qui sort de terre est un légume.
- Tout? "
Nina était étonné, comme toujours, de la vision du mon de son amie. Katie, quant à elle, fronça les sourcils, avant de demander d'un ton suspicieux:
" Même les vers de terre?
- Non, quand même pas... Les vers de terre ne poussent pas, fit remarquer Camille.
- Et les taupes? continua Katie, après ce qu'il semblait être une intense réflexion.
- Les taupes ? Mais t'a pas entendu ce que je viens de dire, ou quoi ?
- Bah si, mais ça pousse la terre, les taupes ! "
Le ton de Katie était innocent, et ses deux amies éclatèrent de rire.
" Mais t'es trop bête, toi ! lui fit remarquer Nina.
- Oui, mais c'est ce qui fait mon charme ! "
Tout en parlant, la jeune fille passa la main dans ses cheveux et les agita de gauche à droite. Camille le remarqua et lui dit d'un ton très sérieux :
" Parce que tu ne vaux rien !
- Tout à fait ! Et j'en suis fière en plus ! "
Les trois filles riaient lorsque Nina demanda :
- Camille, selon ta théorie, est-ce que l'herbe est un légume ?
- Bah... "
Elle marqua une hésitation, qui dura quelques minutes, avant de continuer :
" Étant donné que la salade en est un...
- Techniquement, non ! la coupa Katie.
- On s'en fout ! répliqua Camille. L'herbe est un légume, un point c'est tout ! "
Le fou rire repartit de plus belle et s'intensifia lorsque Katie commença à faire des bruits étranges, ce qui finissait toujours par arriver quand elle riait. Quand elles eurent retrouvé leur calme, ce qui prit un certain temps, Nina, leur dit :
" Dans ce cas, je crois que j'ai aussi été attaquée par un légume... Enfin, suivant ta conception du légume.
- C'était quoi ? questionna Camille.
- Du persil !
- Comment peut-on se faire attaquer par du persil ? s'étonna Katie.
- Oh ben c'est pas très compliqué, il m'a prit en otage.
- T'es sure qu'on parle toujours du persil ? demanda Camille.
- Aussi sûre que deux et deux font quatre."
La tête de Katie sortit brutalement du cadrage de sa webcam.
" Où tu vas ? l'interrogea Nina.
- Chercher ma calculatrice : il y a quelque chose qui cloche."
Elle réapparut, tapant quelque chose sur un petit objet vert et fit une tête étonnée. Voire choquée.
" Qu'est-ce qu'il y a encore ? demanda Camille.
- Ma calculatrice vient de me confirmer que deux plus deux est égal à quatre.
- Tu en doutais ?
- Avec ce que Nina vient de dire : ouais... "
Nina se racla la gorge bruyamment, faisant sursauter ses deux amies qui crurent un instant à une panne de leurs ordinateurs.
" Et si on revenait à nos moutons... enfin... A mon histoire, quoi !
- Vas-y : nous sommes toutes ouïes ! déclarèrent Katie et Camille d'une même voix.
- Alors voila : j'étais tranquillement en train de hacher du persil, quand il a attrapé un couteau et... "
Un énorme bruit la força à s'arrêter. Katie était repartie dans son fou rire et il paraissait clair que plus rien ne pourrait l'en sortir. Elle émettait des cris qu'on aurait aisément pu confondre avec ceux d'une mouette rieuse ou d'un goéland en pleine crise en bord de mer. Ou avec ceux d'un phoque, voire d'une otarie s'en donnant à coeur joie. Ou encore d'un cochon qui verrait sa dernière heure arriver. Le plus ressemblant étant évidemment le mélange de tous ces cris, et de bien d'autres encore...
" Tu me préviendras quand tu seras calmée, lui fit Nina qui semblait un peu vexée.
- Dé... (IIiiirrrkk !) solée... (IIiiirkk !) J'y... Peux (IIiirrrrk !) Rien. (Iiiirrkkk !)
- On voit ça ! remarqua Camille, qui avait du mal à se retenir de plonger, elle aussi, dans un terrible fou rire.
Il y eut un long silence, ponctuée de cris semblant venir d'une autre planète, qui s'espaçait peu à peu. Quand il eurent disparu, Nina demanda, inquiète :
" Je peux continuer ?
- Je... Crois... lui répondit Katie, qui n'avait toujours pas retrouvé sa respiration.
- D'abord, explique-nous pourquoi il t'a prit en otage ! la pria Camille.
- Il voulait que je le libère.
- Et ? s'enquit la jeune fille, intéressée.
- Ben je l'ai épargné. T'aurais fait quoi avec un couteau pointé sur toi ?
- Elle se serait arrangée pour se faire mordre !" intervint Katie.